Petite interprétation du Land art

Adrien Cresci
VYSUAL MAG
Published in
6 min readOct 23, 2014

--

Au premier abord, expérience artistique étrange que le Land art. Des formes abstraites en pleine nature, difficile d’y comprendre quelque chose pour les non-initiés. Cette semaine je vulgarise au-delà de l’appréciation esthétique. Préparez-vous à savourer ce pan de l’art contemporain.

Pour s’exprimer simplement, le Land Art est un mouvement d’art contemporain, où l’artiste intervient, modifie, investit le paysage naturel. Pour ce faire, il utilise un matériau naturel trouvé sur l’emplacement de son oeuvre ou apporté sur place : bois, terre, sable, pierres, feuilles, branches, neige… le Land Art s’exprime au dehors. Pas dans les musées ou dans les galeries, mais dans la nature, avec la volonté de mieux intégrer l’art à l’environnement qui l’entoure, de le rendre vivant.

-

wolfgang buntrock land art

Wolfgang Buntrock — Fish 2

-

Par essence, le Land art rejette la marchandisation de l’art et les techniques modernes, les œuvres sont éphémères et s’interprètent comme une expérience sur laquelle la réalité (le vent, les eaux dégradent les créations) et le temps ont de l’emprise. Les artistes mettent en place des édifices plus ou moins grands. Ils déplacent, transportent, creusent, griffent, tracent, plantent, accumulent, peignent des éléments naturels afin de modifier les paysages selon leurs inspirations.

-

andy goldsworthy land art

Andy Goldsworthy

-

La plupart du temps, les œuvres de Land art se trouvent loin des villes, c’est la photographie qui permet leur notoriété. Des croquis, des reportages et des vidéos sont présentés au public, c’est ce qui permet à l’artiste de vivre et d’imaginer d’autres créations. Car oui, le Land art nécessite de l’espace et des moyens financiers importants.

Du fait de l’absence de traces dans son Histoire, c’est aux États-Unis que cet art monumental est apparu fin des années 60. Les artistes souhaitaient sortir de l’art conventionnel des musées et travailler “in situ” (oeuvre créée et observée sur place) en investissant le grand ouest américain.

Le Land art, comme l’expriment les moyens qu’il mobilise, s’intéresse au monde contemporain, à ses problématiques, au rapport entre l’homme et son environnement, la nature. Les artistes mettent en valeur l’intemporalité de lieux choisis pour leur caractère sauvage, la mémoire que ceux-ci incarnent.

Pour mieux apprécier les enjeux de cette expression artistique, j’ai souhaité décrypter modestement les créations d’artistes de Land art reconnus que j’apprécie. Richard Long, Walter de Maria, Robert Smithson, Mickael Heizer, autant de créateurs qui se distinguent d’entre tous.

Richard Long : le marcheur

Plutôt adepte d’une transformation légère de l’environnement, Richard Long déplace les matériaux à la main la plupart du temps. Ses œuvres sont à échelle humaine et sont le résultat de ses déplacements… à pieds. Il propose ainsi une lecture de la nature à travers lui, à travers son parcours de marche. Avant tout, son objectif est de mettre en valeur le paysage qu’il traverse. Il essaye de retrouver le rapport à la nature qu’avaient les premiers hommes, en s’exprimant de la même façon, par des formes simples, presque primitives (le cercle, la ligne). Cette volonté d’humilité face à la nature se retrouve dans sa préparation, puisqu’il utilise essentiellement des cartes classiques pour établir le tracé de sa marche. Il les conserve, avec des photos et des notes de travail pour ensuite les exposer au public.

-

cercle au sahara richard long land art

Richard Long — Cercle au Sahara

a line made by walking richard long land art

Richard Long — A line made by walking

-

Walter de Maria : le faiseur d’éclairs

Walter de Maria, comme ses comparses, s’inscrit dans une diffusion gratuite de l’art, un moyen de porter atteinte au marchandage des œuvres. Sa création la plus célèbre est vraiment singulière. The Lightening Field réunit dans un champ de 1 km par 1 mile, 400 poteaux en acier régulièrement répartis. En temps d’orage, l’oeuvre génère ainsi artificiellement la foudre. Son idée est de rappeler à l’homme moderne ses premières angoisses, que la technologie peine finalement à éradiquer. Petite anecdote qui participe au mythe autour de l’oeuvre, il paraît que l’on pourrait se tenir entre deux poteaux pendant que la foudre les frappe sans pour autant subir une décharge. Vous ne m’en voudrez pas, je n’irai pas vérifier.

-

the lightening field walter de maria

Walter de Maria — The Lightening Field

-

Robert Smithson : l’érudit

Véritable théoricien du Land art, les idées de Robert Smithson ont été largement diffusées auprès des artistes de son mouvement. Il est à l’origine de probablement l’oeuvre la plus connue du Land art, Spiral Jetty. Une lande de terre en spirale mathématique de 450 mètres de long pour 5 mètres de large, sur les bords d’un lac. La topographie du lieu a directement influencé l’artiste (on parle de tourbillon mythique au centre du lac). Quelques chiffres révélateurs de l’immensité de l’oeuvre : 625 personnes travaillèrent sous les ordres de Robert Smithson, pour déplacer 6783 tonnes de terre nécessaires à la réalisation de l’oeuvre. À son origine visible, elle fut recouverte par une montée des eaux en 1972. De temps en temps elle émerge, mais s’efface au fur et à mesure. Cette modification de l’oeuvre par son environnement est une sorte d’aboutissement pour Robert Smithson et le Land art, qui témoigne d’une place retrouvée de la nature et de sa dominance originelle sur l’homme.

-

spiral jetty robert smithson land art

Robert Smithson — Spiral Jetty

-

Michael Heizer : l’architecte

À 25 ans à peine, Michael Heizer créait une oeuvre majeure du Land art. En plein cœur du désert du Nevada, une tranchée longue de 457 mètres, large de 10 mètres et profonde de 15 mètres. Comme je le mentionnais plus haut, 244 000 tonnes de roches ont dû être extraites pour mener à bien ce projet monumental. Le titre donne une piste quant à l’interprétation, Double Negative, en référence à l’espace négatif de l’oeuvre, ce qui a été déplacé pour la réaliser. La création n’est pas dans ce qui est visible mais justement dans ce qui n’est plus présent. Depuis ce temps, Michael Heizer focalise ses efforts sur City, un projet titanesque de ville-sculpture d’environ 1 mile de long. Aujourd’hui encore, la ville n’est pas ouverte au public.

-

double negative michael heizer

Michael Heizer — Double Negative

-

Bien qu’américain à l’origine, le Land art fédère aussi en France, Jean Clareboudt et Jean Verame en sont deux représentants.

-

jean verame land art

Jean Verame

jean clareboud land art

Jean Clareboud

-

En plus d’être un art visuellement spectaculaire, le Land art subit un vrai regain d’intérêt ces dernières années de par sa vocation “écologique”. Bien que je rejette ce regard intéressé sur un art qui justement ne l’est pas, il demeure que les représentants de ce mouvement nous donnent à réfléchir sur les rapports qu’entretiennent homme et nature. De questionnements presque existentiels : qui de l’homme ou de la nature doit influencer l’autre ? Le Land art pose des problèmes plus pragmatiques : l’art est-il fait pour rester dans les musées ? Doit-il forcément être monnayable ?

J’espère dans tous les cas que cette petite interprétation vous aura permis de faire la vôtre.

--

--

Word-maker & creative flow | Semi-Homme de média | Alumni @CELSA_Officiel |