Petite interprétation du Nouveau Réalisme

Adrien Cresci
VYSUAL MAG
Published in
6 min readNov 20, 2014

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Au début des années 60, naît en France le Nouveau Réalisme, un mouvement artistique contestataire qui annonçait déjà un peu, les révoltes sociales qui se déroulèrent fin des années 60.

À l’image de la Petite interprétation du Land art, que j’avais présenté il y a quelques semaines, j’ai souhaité revenir cette fois-ci sur un autre mouvement de l’art contemporain : le Nouveau Réalisme.

Entre 1960 et 1970, c’est en France que s’exprime cette tendance majeure de l’art contemporain, que l’on oppose souvent au Pop-art américain et associe parfois au Dadaïsme, mais qui aujourd’hui encore, fait partie de notre imaginaire collectif.

Créé à l’initiative d’artistes de l’époque tels que Klein, Arman, Dufrêne, Raysse, Spoerri ou encotre Tinguely, le Nouveau Réalisme peut se définir comme “un recyclage poétique du réel”. Des mots de Pierre Restany, un critique d’art qui accompagnera les artistes tout au long de la vie du mouvement et qui s’occupera principalement de la justification théorique de leurs œuvres, notamment à l’international, face à la montée du Pop-art, soutenu par un important réseau de galeristes et de collectionneurs américains.

La volonté du Nouveau Réalisme est de rompre avec l’abstraction en vogue à l’époque, en utilisant des objets de la vie quotidienne, afin d’en faire des symboles forts de la société de consommation. Voitures, chiffons, vêtements, affiches publicitaires… on assiste à une disparition du matériau noble pour des matériaux plus industriels comme le ciment, la tôle, le tissu.

C’est aussi une autre manière d’aborder l’art, là où l’habileté manuelle était un élément important dans la reconnaissance de la valeur d’un artiste, les Nouveaux Réalistes préfèrent utiliser des machines.

Le mouvement veut faire ressortir la beauté du quotidien, s’approprier le monde pour le rendre à ses premiers détenteurs : le consommateur devient producteur d’art. Le Nouveau Réalisme fait évidemment écho au mouvement littéraire du 19ème siècle, qui souhaitait décrire la réalité telle qu’elle était. Sa nouveauté s’exprime dans un certain affranchissement des codes présents jusqu’alors dans une société urbaine de consommation : plus de représentation par la création d’une image (une peinture qui va faire référence à un élément réel par exemple), mais par le choix d’un objet.

Afin d’expliciter les thèmes de cette expression artistique, j’ai choisi de présenter le travail d’artistes majeurs de ce mouvement que j’apprécie particulièrement.

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Yves Klein : blue man

Bien que reconnu à l’international pour son IKB (International Klein Blue), une couleur spéciale de par le liant qui la compose, qui permet une stabilité particulière entre mat et brillant, l’héritage d’Yves Klein est bien plus complet.

ikn yves klein couleur bleu

International Klein Blue

En effet, il est à l’origine des premières “performances” avec ses “pinceaux vivants” (des femmes nues enduites de peinture qui accolaient leurs formes sur une toile), mais innove aussi en essayant de reproduire à la peinture des traces du feu, ou par le biais de ses “sculptures-éponges”, analogie du spectateur qui ressort imprégné d’une exposition d’Yves Klein. Il est important de savoir quand on veut comprendre l’oeuvre d’Yves Klein, c’est que tout s’articule autour de la monochromie, de son bleu, et des supports qui vont lui permettre de sublimer cette couleur.

pinceaux vivants klein

“Pinceaux vivants”

anthropometrie yves klein nouveau realisme

Anthropométrie, époque bleue.

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Arman : l’accumulateur

Niçois, comme beaucoup des artistes du Nouveau Réalisme, Arman est surtout connu pour ses accumulations d’objets du quotidien, de produits manufacturés. Un élément usuel est utilisé dans un assemblage d’objets similaires, dont la forme est déterminée par la nature de cet objet. L’artiste propose ainsi un nouveau regard sur le produit, il s’interroge sur le rapport qu’entretient la société de consommation avec l’objet, entre sacralisation et destruction.

arman trompette accumulation nouveau realisme

Trompettes

arman horloge accumulation nouveau realisme

L’Heure de Tous

arman hache accumulation

Avalanch

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Daniel Spoerri : le cuisinier

Ce que l’on peut retenir de Daniel Spoerri, ce sont surtout ces repas collectifs dont le plus célèbre est le “Repas hongrois”, une manifestation où, dans une galerie, les convives dégustent des plats de Spoerri, servis par de grands critiques d’art. Le repas terminé, les invités composent des tableaux-pièges en collant les restes de leur repas. Par cette performance et avec l’ensemble de ses tableaux-pièges, il entend rendre compte de la manière dont la société de consommation se nourrit, il faut faire vite, manger pour se remplir. Il détourne un moment important de la journée en se servant dans les poubelles de ses voisins, de ses amis, et en réinvestissant ce qu’il y trouve dans l’art. Les éléments sont fixés grâce à de la résine et sont affichés contre un mur comme une toile.

spoerri tableaux pieges

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Christo : l’empaqueteur

Christo c’est le nom d’artiste que se sont donnés Christo et Jeanne-Claude. Le couple est particulièrement célèbre pour ses objets empaquetés. Par ce biais, ils souhaitent symboliser une certaine prise de possession de l’espace et de l’éphémère. Pour eux, l’empaquetage donne une dimension supplémentaire au lieu qu’ils empaquettent, drapent, découpent ou colorient. Leurs projets sont in situ (à consommer sur place) et ont pour vocation à emprunter un espace qui habituellement n’appartient pas à la sculpture.

christo nouveau realisme chaise table
batiment-empaquetage-christo

Reichstag

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César : l’automobiliste

La majorité des œuvres de César (oui celui des récompenses cinématographiques) se concentre sur la compression. À l’aide d’une presse hydraulique, il compresse des objets divers, surtout des voitures. En s’appropriant ainsi ces objets, César souhaite défier la société de consommation. Ses victimes sont multiples : Fiat, Peugeot, nombreuses sont les marques à subir son courroux. Mais il utilise aussi d’autres matériaux, bijoux, papiers, tissus, qu’il transforme en cubes compressés à porter autour du cou notamment.

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cesar voiture compression nouveau realisme
cesar tissu compression nouveau realisme

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Pour aller plus loin, je pourrais vous inciter à découvrir les travaux autour de l’univers de la publicité de Villeglé, Hains, Dufrêne ou encore Rotella.

Mais finalement, le Nouveau Réalisme est un mouvement qui aura duré peu de temps. Les artistes que je vous ai présenté ont surtout participé au mouvement entre 1960 et 1963, même si l’histoire du Nouveau Réalisme s’étend jusqu’en 1970. Il n’empêche qu’en peu de temps, ce mouvement artistique aura su s’imposer face à la puissance du pop-art et subsiste encore sous d’autres formes, plus ou moins explicites.

Il faudra retenir que le Nouveau Réalisme est avant-tout un mouvement de contestation, face à la peinture abstraite, face à la société de consommation. Et quand on met en perspective les œuvres et l’époque de leur création, il devient évident qu’elles exprimaient déjà un rejet latent au sein de la société, qui prendra plus tard la forme de révoltes sociales que l’on connaît bien en France, vers la fin des années 60.

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